Jeudi 26 Août C’est la feria à Saint Gilles, après le dîner nous partons voir ce qui se passe dans les rues , c'est fête populaire, tout le monde est dehors. David est avec son chien. Dominique Sampiero, Lucie et les enfants prennent une table dans un bar dont je ne me souviens pas du nom, on voit à peine entrer les gens…les images dans ma mémoire sont devenues floues… je suis derrière les barreaux, une manade de chevaliers s'approche, ils ont des tridents comme dans les films de western. Trois chevaux d’un côté et trois de l’autre forment une flèche serré,ils entourent un taureau. Derrière eux, une meute de jeunes hommes sans chemise qui courent avec un seul but : maîtriser la bête et la faire tomber. Ça se passe en quelques secondes, l'adrénaline monte, je me détache du groupe en m'enfuyant entre les barreaux (grillages) qui se trouvent sur le trottoir pour me protéger des taureaux. Je veux être un des ces jeunes hommes, courir sans chemise, m'attaquer corps et âme à ces animaux noirs de chair avec cornes c’est instinctive, les yeux des toutes les personnes qui regardent brillent. Une sorte de joie venant de la nuit de temps exulte, c’est comme un rite de passage, je pense au cavernes de lascaux, a ‘los llanos orientales de la colombie, a orinoco” un très très beau métissage entre indigènes,indigènes, noirs et espagnols… https://www.youtube.com/watch?v=ujZXBn2MJ4w&list=RDdid4bCUzhSM&index=3 Je suis surprise par la jeunesse de la population, je me demande d'où ils sortent, ou ils sont la journée, ils ont tous moins de 30 ans. D'habitude je n’aime pas les tumultes des gens, ni les bruits, encore moins les personnes bourrées, ce soir je me laisse engloutir par la foule et la nuit ne finit jamais … un renversement de l'ordre s'opère. Vendredi 27 août 2021 Dominique Sampiero est dans la résidence, c'est un poète. De temps à autre il m’arrive d'écrire des poèmes, je partage mon dernier poème avec lui, on le décompose, on le recompose en bon francais: “ Mes yeux intérieurs se surprennent de la voir , arrosée par mes larmes, elle respire, elle bouge lent et délicate, mes yeux intérieurs s'offraient en croyant qu’elle va se fermer, mes yeux intérieurs on vu très haut dans la montagne-coeur une fleur éternelle” Je suis sur la route vers Ille sur la Sorgue pour visiter l'exposition à la villa datris, les fils de mots continue par texte: habiter le vent, habiter les hautes herbes, habiter les racines, habiter le souffle" -tu es ou ? -je suis assise dans mon ombre Jeudi 28 Août Marina, une couturière du village, m'attend, elle ne reçoit que sur rendez-vous. Je marche lentement et à pas court, j'ai mal à la tête. Le travail à faire est de raccourcir trois rideaux, 2 rouges et 1 jaune. C’est pour ma chambre d’artiste en cours d'aménagement dans le cadre de la résidence. La pièce a besoin d'être habillé, réchauffée, embellie, c'est vital pour moi de créer les bonnes conditions pour se reposer avec de la beauté autour. Je passe du temps dans cette pièce à écrire et à réfléchir… la couturière doit m'appeler une fois que le travail est prêt. A mon retour je prends des photos des ombres, je regarde, j'arrête un riverain qui lave sa voiture, il rehausse la tête et me regarde dans l'air inquiet. Je pense aux peintres, comme Paul Gauguin,Vincent Van Gogh ou Picasso qui sont venus dans le sud de France. Je pense à leur rapport à la lumière d'ici, j'imagine un titre pour série de peintures, “les ombre du sud”. Ça continue, Sampiero laisse à son passage les goût de mots, ca recommence: “C'est le bleu qui m'arrête, c'est le coq que j'entend, c'est l’ombre du sud qui m'inquiète, voyage au poète. Le jaune n’est pas bienvenu, l’orange qui traverse” Lundi 30 Août 2021 Pour que la matière textile Les vêtements et les tissus résonnent avec notre intimité et constituent une deuxième peau avec laquelle nous pouvons vivre dans le monde et nous déplacer. Ils portent nos affects et nos identités, ils nous aident à tisser des liens avec les autres. Alors, on peut dire que l’on porte le monde globalisé sur le corps, avec toutes ses implications : l’économie, son système de production de masse, et la circulation. Les vêtements sont aussi une « projection du corps, le tissu est forme, matière et sens. Il possède une dimension liée à notre monde affectif, une mémoire ancienne qui nous concerne tous. Ce matériau familier, après avoir été relégué à sa fonctionnalité (le vêtement qui couvre le corps, les draps, les rideaux…), ou limité à des formes décoratives (le kilt, les tapisseries…), connaît une légitimité nouvelle dans l’art contemporain et ouvre une réflexion conceptuelle en tant qu’élément d’innovation. Ses qualités plastiques, sa flexibilité, ses formes malléables, en font un langage multiple qui vient de son rapport singulier à la fibre. Pas moins importantes, ses qualités tactiles qui restent à développer dans une culture qui a privilégié jusqu’ici la vue. Mardi 31 Août « Chez les autres » « L'expérience limite est inévitable pour le voyageur, il existe en lui un grand désir d'espace extérieur, ce qui lui permet justement d’étendre l'espace intime, comme si n'importe quel voyage était un déplacement spatial et temporel, un aller au plus profond de son être.»1 Dans nos coordonnées mondialisées où le modèle est la circulation des biens et des personnes, des migrations sud nord, sorte de reflux historique, partent désormais à la rencontre du « vieux monde ». Les migrants suivent en général des filières rattachées à leur communauté, marchent dans les pas de leurs prédécesseurs qui ont déjà fait la traversée pour des raisons économiques. Le nomadisme est différent de ce mouvement. Plutôt que de suivre un parcours déjà Balisé, le nomade construit sa carte au fur et à mesure de son déplacement. C’est un voyage en intensité qui ouvre l’espace tout au long du trajet. En tant qu' artiste voyageuse à Saint-Gilles je suis dans une position d’ouverture à l’autre, qui dévoile une condition de vulnérabilité, puisque je dépends des rencontres, comme une forme de puissance, parce que je suis en mesure de tisser des liens. En tant qu’artiste voyageuse je pose un regard neuf sur le territoire. Une certaine légèreté me permet de me déplacer de telle vibration à telle autre, et mon corps qui ballote, devient le réceptacle de toutes les forces qui arrivent de l’extérieur. Quand on voyage, le corps se déplace dans des lieux multiples et se livre à l’inconnu, découvrant des mondes : des paysages, des architectures, des coutumes, des odeurs et des saveurs… Mon âme silencieuse voyage à un rythme propre, avec une perception élargie. C’est de la sorte qu’elle reconnaît, à travers tous ses lieux de passage, les éléments qui l’ont constituée, les sédiments de mon histoire. Le voyage est devenu aujourd’hui omniprésent dans les oeuvres d’art contemporaines.« L’artiste est devenu un prototype de voyageur contemporain, l’homo viator, dont le passage à travers les signes et les formes, renvoie à une expérience contemporaine de mobilité, du déplacement des traversées ».13 Ma pratique artistique se transforme avec mon déplacement. Mon corps d’artiste voyageuse passe d’un point à un autre, fragile, dans une sorte de nudité symbolique, et pourtant, dans ce mouvement constant, moi artiste voyageuse ne porte que mes valises, mon identité, mes vêtements. Il n’a pas d’autres biens. Julia Lopez 1 Ángela Garces Montoya, Estetica del viaje espacio tiempo y otredad, Facultad de ciencias humanas y Económicas, Medellín 1999. 2 Nicolas Bourriaud, Radicant, pour une esthétique de la globalisation, Denoël, 2008, Paris, p. 132. Jeudi 2 vendredi 3 Décembre 2021 J’arrive en Camargue après 32 heures de voyage, je reviens de Mayotte ou je fais aussi une résidence, mon corps doit opérer une adaptation à 29 degrés de moins. Lucie a remis la chambre d'artiste comme je l'avais laissée au mois d'août. Il s’agit de mon premier geste d’habiter, faire de la pièce qui m’a été assignée une vraie chambre, pour se reposer. Mettre des rideaux, des draps, retirer tout type d’objets accumulés, dans cette pièce vide, sorte de grenier, placard, de temps à autre dortoir … Comment traduire ces actions en geste artistique ? Ensuite, j’ai proposé une série de cartes postales à distribuer à 1000 foyers en Camargue. L’hôte volait les archives de cartes postales avant mon départ à Vauvert. Il insiste là-dessus, un, deux, trois quatre, fois : il est en boucle. Je suis bien, je prends mes repères, je sens une tendresse, l’odeur subtile de draps me rassure, j’ai ou une heure de bonheur sous cette couverture avant de repartir. Ce n’était pas prévu, mais les hôtes sont cas contact, je suis déposée à la ville suivant Vauvert, dans un airbnb à 25 minutes en voiture. Les nouveaux hôtes parlent, mais je n’entends rien, je veux juste m’effondrer sur ce nouveau lit ». La nuit, je suis debout, impossible de dormir dans ce canapé lit, je suis en mission bouclage de projet, voilà le texte qui va apparaître sur le verso des cartes postales : « Lors de cette résidence un espace m’est attribué chez edit et pollux, à la fois maison familiale et (tiers) lieu en construction, cette maison incarne l'indivision entre la vie et le travail, ici tout est en chantier ! Pour répondre à la question, qu'est- ce que c'est habiter ? je me propose de faire de cet pièce "une chambre à moi”, pour cela je pars à la collecte de toutes les matières textiles disponibles dans la maison, il s'agit d’un niveau utilitaire de leur usage dans espace domestique, j’enregistre les histoires racontées par l'hôte de la maison. Dans cette carte postale des couvertures de lit, une serviette, un coussin, des rideaux, des draps, tous des humbles tissus sont mis à l'honneur par un processus d'isolation visuelle, elle arrive chez vous comme la trace d'une expérience esthétique et affective » Je ne suis pas sûr de la phrase « chambre à moi » J’ai un poing aveuglé. Je pense à la chambre à soi de Virginia Woolf Samedi 4 décembre 2022 Je regarde sur Google « allez de Vauvert à Saint Gilles» le prochain transport est à 10 :25, J’aime bien demander au gens c’est une manière de faire du lien dans un nouveau territoire * Monsieur , je cherche l’arrêt de bus, * Vous allez ou ? * À Saint Gilles * Je vous amène * Non merci Trois pas après, en vérifiant l’heure qui indique 10h21 , je fais finalement demi-tour: * ooooh désolée, je vais accepter votre proposition ! C’est parti, il s’appelle Youssef, il a 45 ans. Son père et sa mère sont marocains, il a un enfant de 8 ans. Après 20 ans de travail dans la logistique, il décide de changer de métier. Il travaille maintenant dans l’installation de la fibre optique. Il me à ce propos : “C’est une mafia madame, il me laisse au grand portail, je viens voir le home du château.” Dimanche 5 décembre J’envoie un message à Édith et Pollux, la structure porteuse de la résidence, « Bonjour David et Lucie, j’aurai besoin d’une et table d’une chaise, ( ici il n’y en a pas et le propriétaire n’en a pas non plus) je me dit que la petite table se trouvant d’un la chambre de l’artiste , serait bien pour que je puis travailler, je souhaite aller aussi au marché de Saint-Gilles pour faire le cours de ce matin , j'ai été informée qu’ici le marché n’ouvre pas le dimanche. Merci. Julia » N’ayant pas de nouvelles des porteurs de la résidence, je me mets en route et je pars à la « chasse » . Le propriétaire du airbnb m’informe qu’il y a un intermarché et à côté une laverie, pour que je puisse faire ma lessive. Pour créer des repères, j’ai décidé de prendre une photo du même arbre à fruit tous les jours lors de mon passage. J'ai marché pendant 30 minutes. C’est une scène cinématographique: une laverie avec deux machines à laver et un séchoir. Voilà ! Après la chasse » la rivière avec même des pierres pour sécher le linge. Je fais une photo, Il ne manque que le soleil. Intriguée, je demande à la personne, qui attend à la sortie de ses lessives, la raison pour laquelle elle lave ses affaires ici : - J'avais beaucoup de vêtements, elle me sert de machine d’appoint. Avant de partir , elle m’explique le fonctionnement, en me signalant les boutons déglingués, ainsi que les différents programmes de la machine. J’attends quelques minutes que la petite machine finisse. Le propriétaire du vêtement n’était pas là, mais il y a laissé son sac probablement pour signaler sa proximité. Il arrive pile poil à la minute 21. Il remarque que j’ai un sac en papier et m’explique que le séchoir ne marche pas depuis longtemps, l' entraînement continue, - tu dois acheter un sac plastique à 10 centimes. Tu peux aussi acheter la lessive ou bien utiliser celle de la machine. il répond aussi à ma question : dit-il -moi J’ai une machine à laver, mais elle se trouve dans un local qui a été fermé par le propriétaire, je l'ai mis en procès, ces machines ici ça dépanne... Il sort de la machine à laver un boule d’aluminium, il m’explique qu’elle permet à la fois d’enlever l’électrostatique des vêtements et d’absorber les odeurs : dit-il - J’ai appris ça sur YouTube et ça marche, je rajoute du désinfectant et mon propre savon car on ne sait jamais. -Au revoir madame. Je prépare mes vêtements puis je pars faire les courses à l’Intermarché, des haricots, de la poitrine de porc et du riz, tout pour me sentir chez moi et booster mon esprit. Je ne peux pas changer les circonstances, je suis dans l’exercice de ne pas juger, je veux adopter un angle de vue où tout est parfait ! Lundi 6 décembre Je suis debout la nuit, je mets le matelas par terre et tente de dormir. Depuis hier je n’ai plus internet, et j’attends l'appel des porteurs de la résidence, avec des bonnes nouvelles sur la table et la chaise, rien pour l'instant ! Je pars à la recherche d’Internet, je débarque dans un restaurant « le cartel » ils ferment, dans le secteur il n’ait pas de lieux avec internet, je repasse à côté de la laverie, puis j’achète un fil épais noir en coton, des ciseaux et des aguilles. J’avais un rendez-vous à 11h pour récupérer le rideau à saint Gilles, je n’y suis pas allé. Mardi 7 décembre Cette nuit mon sommeil est coupé plusieurs fois, le matin je tourne dans ma tête. Allongée, je fais la liste de toutes les pièces à finir lors de ma résidence. Souvent je fais ça les matins avant de démarrer la journée. Je cherche une nouvelle zone à habiter dans mon imagination. J’ai l’impression d’avoir des particules rose fluo qui se promènent dans mon cerveau, elles vont partout, déliant et reliant de nouveaux neurones. Je vais voir toutes circonstances comment parfait, sans jugement, mon cerveau a du mal, mais je me dis que ce sont des pensées qui passent, et que c'est le seul moyen de naviguer dans le présent c’est dans une mode d’acceptation radical. Je cherche le bon angle, je repasse plusieurs fois toutes mes idées, je boucle toutes les œuvres dans ma tête en premier. Assise sur le matelas Je me réveille et écris une liste Personne ne m’a encore ramené la table. Mercredi 8 décembre je veux écrire en journée, en forme de barre américain cette table de 35 X 120 centimètres de large, se trouvant dans cet airbnb ne sert pas de table de travail, ni d’écriture, elle suffit à peine pour un petit déjeuner rapide , les chaises sont très hautes et mesurent 35 X 35 centimètres. Je suis fatiguée de travailler sur une table basse, et assise sur le matelas… La table et la chaise ne sont pas encore là…. Mendelssohn le songe d' une nuit d'été